Le bout de la Gaussienne
Et s’il était aussi important d’aider un livre à trouver un lecteur, que d’aider un lecteur à trouver un livre ?
Anatomie de la Gaussienne
Chris Anderson a écrit un très bon article dans Wired (The Long Tail) sur ce qui se passe quand les catalogues ne sont plus limités par l’espace disponible dans les rayons d’un magasin. Pour résumer ses arguments (mais je vous conseille fortement de lire la version originale, ou la traduction) :
- Un produit vendu dans un magasin physique doit “payer son loyer” : en dessous d’un certain nombre de ventes par an, l’espace occupé sur les rayonnages par tel livre, ou tel CD n’est plus rentabilisé – il rapporte moins que le chiffre d’affaires / cm de rayonnage moyen du magasin. Pour le grand libraire américain Barnes & Noble, ce seuil est estimé à 130 000 livres au catalogue.
- Cela explique qu’une partie de plus en plus importante des revenus des distributeurs classiques vient d’un nombre de plus en plus faible de titres : si nous tracions les ventes des morceaux par popularité décroissante, nous obtiendrons une gaussienne – une courbe en cloche – où tous les titres en jaune ne figurent même pas au catalogue de la plupart des distributeurs.
- Les distributeurs qui ne sont pas limités par le coût de leurs rayonnages peuvent se permettre de proposer des catalogues autrement plus importants – 2,3 millions de livres pour Amazon.com. Ils profitent du bout de la gaussienne. Pour mettre quelques chiffres sur le phénomène, 57% des ventes d’Amazon sont réalisées sur des articles qui ne sont même pas disponibles chez leurs concurrents off-line.
La carte routière
Anderson remarque un point commun particulièrement signifiant entre tous ces business models qui exploitent l’extrémité de la gaussienne : ils fournissent une carte routière à leurs clients. L’impact du moteur de recommandation d’Amazon, ou de Netflix, est énorme : quand j’achète un livre, le site m’indique “les personnes qui ont acheté ce livre X ont aussi acheté Y et Z”.
En somme, Amazon me permet de découvrir des produits que je ne serais jamais été spontanément chercher au fond de leur catalogue.
Les éditeurs de contenu ont des équipes entières qui réfléchissent à la meilleure façon de générer des revenus avec leur fond de catalogue – la réponse tient en général à faire remonter ces titres, à grands renforts d’opérations spéciales, au centre de la courbe en cloche. Est-ce que ce rôle n’est pas de plus en plus rempli par les distributeurs aujourd’hui ?
Transpositions
Mes quelques recommandations de lecture parmi les idées très innovantes issues de la discussion qui a émergé autour de l’article. :
- d’abord, sur le site de l’auteur, qui héberge une réflexion devant mener à l’écriture d’un livre sur le sujet – notamment les articles sur la transposition de sa théorie à la télévision.
- sur le besoin d’avoir une carte routière, une autre note sur le site de Ludovic Coupéré
feeding a household with the whole chunk of 1000s of channels will not make it spontaneously feel better served, except for isolated groups of very early adopters and technophiles. The key once again is to use those “glue” tools and services to immediately provide a thinly-sliced and carefully filtered choice of channels and content.
- Sur la télévision à la demande, Exploding TV par Fred Wilson, de Flat Iron Partners, et une note de Seth Godin
Et je suis convaincu qu’il y a beaucoup d’entreprises qui exploitent déjà le bout de la gaussienne depuis des années – probablement sans l’avoir appelé ou formalisé comme cela – et réalisent un chiffre d’affaires conséquent grâce à cela.